LE BUDGET DE LA JUSTICE ET SES EFFETS SUR LA JUSTICE FAMILIALE

Rappelons d’abord qu’avec 2 divorces pour 3 mariages en région parisienne et 1 divorce pour 2 mariages dans le reste du pays, la justice familiale demeure la plus fréquentée par le justiciable moyen, c’est à dire celui qui n’a jamais commis de délit.
Sa fonction de protection des mineurs dans le règlement des contentieux familiaux entraine des effets à moyen et long terme sur la société dans la mesure où c’est le JAF qui décide du lieu de résidence des enfants et d’obligation éventuelle de suivi éducatif ou socio-judiciaire le cas échéant.
Lorsque le contentieux familial ne peut être réglé à l’audience, le juge dispose de moyens d’investigation comme l’enquête sociale, l’expertise médico-psychologique, l’expertise psychiatrique et très récemment l’audition d’enfant.
A la différence des autres experts, l’enquêteur social se rend au domicile des parties avant de remettre son mémoire au magistrat demandeur.

Qui sont les enquêteurs sociaux
Leur nombre est difficile à estimer (environ sept  cents sur le territoire national) ce qui explique en partie la méconnaissance dont ils font l’objet. Dotés d’une formation sociale, psychologique ou juridique, ils sont mandatés par les juges pour intervenir auprès des familles et de leur environnement afin d’évaluer la situation des enfants dans le cadre d’un conflit conjugal (champ du Juge aux Affaire Familiales) ou de difficultés éducatives pouvant entrainer la mise en danger du mineur (compétence du Juge des enfants).
Dans ce cadre judiciaire, ils rendent un rapport argumenté à leur magistrat qui demeure souverain dans sa prise de décision et possède toujours la liberté de ne pas suivre les conclusions de l’enquêteur qu’il aura missionné.
Prioritairement garant de l’intérêt de l’enfant dans le cadre de leur travail, les enquêteurs sociaux rencontrent les familles pour lesquelles le cadre de l’audience ne permet pas au magistrat de prendre une décision en raison de la force ou de la complexité du conflit conjugal. Ils sont en quelque sorte, le transport du Juge sur la scène familiale (les yeux et les oreilles du magistrat). Ce qui explique que ces professionnels au champ de compétences assez étendu font l’objet de contestations régulières[1] de leur impartialité de la part de justiciables aveuglés par leur conflit de couple ou de la part des associations masculinistes[2]

Une profession en évolution
Durant ces vingt cinq dernières années, l’enquête sociale a profondément évolué. Réalisée dans le début des années 80 par d’anciens gendarmes ou policiers à la retraite, ils tenaient davantage de l’instantané photographique censé restituer la qualité de l’adhésion des parents aux valeurs morales traditionnelles. Depuis, la profession s’est ouverte aux travailleurs sociaux et aux psychologues plus aptes à rendre compte de la dynamique du couple parental et de ce qu’il est susceptible d’en rester après la séparation conjugale dans l’intérêt prioritaire du développement psychoaffectif des enfants mineurs concernés.
On le comprend aisément, c’est une mission complexe dont l’exécution nécessite de 30 à 40 heures de travail comprenant des entretiens avec les parents, les enfants en âge d’être entendus, les différents acteurs de l’environnement scolaire voire social des familles concernées, ainsi que la rédaction d’un rapport argumenté pour le magistrat. A cela s’ajoute les transports effectués pour se rendre au domicile des parents qui ne sont pas nécessairement restés dans la même région après leur séparation.

Des experts payés comme des femmes de ménage
L’ex-Garde des Sceaux, Rachida Dati, a gratifié les enquêteurs sociaux d’un ultime cadeau avant son départ du gouvernement. Elle est l’auteur d’un décret[3] qui fixe le statut de l’enquêteur social (une évolution attendue et élaborée avec le concours d’une association représentative[4]) mais qui diminue sa rémunération d’un tiers. Réduite uniformément à 500 euros hors taxes par mission dans toutes les juridictions du territoire, cette tarification, une fois les charges sociales déduites (la majorité de ces professionnels est constituée de travailleurs indépendants)  correspond au salaire horaire d’une femme de ménage soit 8 euros de l’heure pour des professionnels possédant des niveaux de qualification à bac + 5 !
Ces textes ont déclenché des réactions de toute nature (pétitions, manifestations, blocage de TGI ..) qui n’ont suscité que peu d’échos eu égard au faible nombre d’enquêteurs sociaux et à la méconnaissance de leur profession et de leur fonction dans la société. A l’exception du Canard Enchainé[5] de Rue89[6] et de quelques revues corporatistes, les médias ont fait l’impasse sur cette situation qui pourtant démontre le peu de considération du Ministère de la Justice à l’égard des politiques familiales.
Le Ministère de la Justice a tout de même fini par reconnaître l’absence d’une concertation préalable (méthode identique à celle utilisée pour la réforme des retraites) et s’est attaché depuis, à réunir les associations représentatives[7] pour produire un référentiel visant à l’harmonisation des pratiques judiciaires en la matière. Dans le même temps, le décret a été attaqué en Conseil d’Etat par un collectif d’associations d’enquêteurs sociaux. Si l’Etat a perdu pour l’aspect formel (il n’avait pas à écarter les associations socio-judicaires du champ de l’enquête sociale), le principe de l’indemnité forfaitaire nationale n’a pas été remis en cause.
Cependant, la Chancellerie continue de diminuer le revenu de l’enquêteur social en lui demandant de payer de sa poche les frais de déplacement.  Le décret du 9 janvier 2011, augment le montant des honoraires de 500 à 600 euros mais dans le même temps, il fixe une indemnité de déplacement à hauteur de 50 euros quel que soit le montant des frais engagés par l’enquêteur. Il faut savoir que ceux-ci, auparavant remboursés à l’euro près selon le même barème que les fonctionnaires de l’Etat, représentent de 150 à 400€ en fonction de la distance qui sépare les justiciables et du nombre de démarches que la situation impose.

Des juridictions à l’organisation administrative et financière chaotique
Le décret du 12 mars 2009 fixe donc le statut des enquêteurs sociaux notamment par l’inscription sur une liste officielle dans chaque Cour d’Appel après examen des candidatures par l’assemblée générale des magistrats.
Sur le terrain les choses sont loin d’être aussi rigoureuses que les textes l’auraient souhaité. Des Cours d’Appel s’exonèrent de la procédure et ne réalisent aucune liste en 2010, plusieurs autres refusent l’inscription à des enquêteurs que des magistrats différents désignent depuis plus de 10 ans. En 2011, la situation n’a guère évolué. Le site de la Cour de Cassation (http://www.courdecassation.fr/informations_services_6/experts_judiciaires_8700.html) recense toutes les listes d’experts du territoire national validées par leur Cour d’Appel respective. Plus de la moitié ne publie pas de liste d’enquêteurs sociaux comme la loi les y oblige.
Déjà victimes d’une réduction drastique de leur rémunération, les enquêteurs ont aussi à subir les conséquences d’une gestion aléatoire des services financiers des Cours d’Appel. Ainsi, plusieurs d’entre elles comme la Cour d’Aix sont dans l’incapacité de régler les missions exécutées par leurs enquêteurs sociaux et leur demande de patienter jusqu’à plus de 6 mois. Elles évoquent des dotations qui n’arrivent pas ou la consommation de la totalité de leur budget. Dans tous les cas, il est impossible de démêler le vrai du faux. La seule constante consiste en le paiement prioritaire des experts de la justice pénale, celle qui fait la une des journaux d’information et dont l’activité est plus directement accessible au citoyen ordinaire.

Les enquêteurs sociaux dont le travail au chevet d’une société malade de ses contradictions sur la place de l’enfant mériterait d’être plus largement reconnu, sont maltraités par un Etat dont les gesticulations réglementaires ne parviennent pas à masquer l’impéritie judiciaire. A ignorer la régulation sociale que sous-tend leur travail et la protection de l’enfance qu’il contient, nos gouvernants risquent fort de voir les conflits familiaux contaminer gravement tout un pan de la vie sociale avec des conséquences judiciaires, sociales et financières considérables.


[1] Le web regorge de forums qui traduisent la méconnaissance du travail et du rôle des enquêteurs sociaux tout en faisant circuler des informations douteuses à leur propos. A titre d’exemple du manque de sérieux de ces critiques aucune d’entre elles n’est assortie de la copie d’extraits de jugement ou de copie de rapport d’enquête sociale alors que ces document sont entre les mains des justiciables concernés.
[2] De « SOS papa » à « mouvement de la condition paternelle », il existe toute une série d’associations de pères qui militent pour une égalité absolue des compétences parentales en se posant en victimes de décisions sexistes ou abusives prises part des magistrats et des enquêteurs majoritairement féminins
[3] Décret n° 2009-285 du 12 mars 2009 et arrêté du 12 mars 2009
[4] L’A.N.D.E.S. Association Nationale Des Enquêteurs Sociaux
[5] Du 7 octobre 2010
[6] Du 23 mars 2009
[7] ANDES, FN3S, UNASEA, ACPE..

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