Audition d'enfants : la mise en oeuvre de l'obligation d'informer l'enfant de ses droits

Le législateur a véritablement innové en instaurant une obligation d'informer l'enfant de ses droits, qui non seulement n'existait pas auparavant, mais qui de surcroît ne semble pas avoir été envisagée dans la convention des nations unies du 20 novembre 1989.
En revanche, la convention européenne du 25 janvier 1996 prévoit dans son article 6-b, que l'autorité judiciaire doit "s'assurer que l'enfant a reçu une information pertinente"
La convention entend par "information pertinente" (art 2-d) : "les informations appropriées, eu égard à l'âge et au discernement de l'enfant, qui lui seront fournies afin de lui permettre d'exercer pleinement ses droits, à moins que la communication de telles informations ne nuise à son bien-être."
De manière constante, l'information ne soit être donnée qu'à l'enfant capable de "discernement".
La convention européenne précise que l'enfant doit être "considéré par le droit interne comme ayant un discernement suffisant" (art. 6-b), ce qui semble renvoyer à une définition légale en droit interne du discernement de l'enfant.
Le législateur français s'est toutefois bien gardé de fournir des critères d'appréciation de degré de discernement manifesté par un enfant.

Il est vrai qu'il s'agit là d'une donnée hautement subjective (du point de vue de celui qui doit apprécier le degré de discernement de l'enfant) et en pratique extrêmement variable d'un enfant à un autre.
Il est toujours hasardeux de fixer en la matière un critère purement objectif tiré de l'âge de l'enfant, mais il convient de se souvenir que, déjà en droit romain, l'âge de 7 ans était retenu pour la sortie de la "petite enfance".
De nos jours, les experts en la matière estiment que "Jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans, l'enfant ne sait pas distinguer de manière fiable sa propre perception des histoires qui lui sont racontées." (M. Jean-Marc DELFIEU, Psychiatre, Expert près la Cour d'Appel, Syndrome d'aliénation parentale, Revue Experts n°67 juin 2005 - téléchargeable ici).
Il paraît donc prudent de proposer qu'en dessous de 7 ans, l'enfant ne fait pas preuve de discernement et ne doit donc pas faire l'objet de l'information de son droit d'être entendu par le juge.
Toutefois, il paraît évident que l'opinion exprimée par l'enfant aura d'autant plus de poids dans la décision du juge que celui-ci sera avancé en âge et fera la preuve de sa maturité lors de l'audition.
Dès lors que la question du discernement est réglée, il apparaît que l'obligation d'information incombe en premier lieu aux parents de l'enfant ou aux adultes en charge ordinairement de l'enfant (dans les cas où l'enfant ne réside pas ou plus avec l'un de ses parents : placement, délégation d'autorité parentale).
Cette information, qui doit être donnée dans le cadre habituel d'une relation familiale enfant-parent est ensuite formalisée par écrit dans une attestation sur l'honneur qui sera produite en cours d'instance.
Le recours à l'attestation sur l'honneur semble en effet le mieux à même de garantir l'effectivité de l'information à l'enfant tout en lui ôtant un caractère trop solennel qui pourrait résulter, par exemple, d'une information délivrée par un tiers ou d'une information délivrée en présence d'un tiers "authentificateur" tel qu'un notaire ou un huissier de justice.
La pratique judiciaire a adopté la formule de l'attestation sur l'honneur, et les dossiers transmis aux juges aux affaires familiales comportent depuis quelques mois une pièce complémentaire faisant foi de l'effectivité de l'information donnée à l'enfant.
Un modèle d'attestation sur l'honneur à remettre dans les procédures intéressant l'enfant peut être trouvé ici.
On peut envisager, en pratique, que l'attestation sur l'honneur transmise par l'un des parents ne soit pas conforme à celle transmise par l'autre parent : par exemple, l'un des parents a considéré que l'enfant ne faisait pas preuve de discernement alors que l'autre a estimé le contraire ; ou bien encore, la position de l'enfant capable de discernement a évolué, en cours de procédure, relativement à son souhait d'être entendu par le juge.
Dès lors que l'enfant fait preuve de discernement, la nouvelle rédaction de l'article 388-1 du Code civil va de toute évidence dans le sens de la plus grande effectivité possible du droit à être entendu par le juge : en cas d'évolution de la position de l'enfant sur son audition, il nous paraît préférable de procéder à l'audition de l'enfant.
Plus délicate est la question de l'enfant considéré par l'un comme faisant preuve de discernement et non par l'autre de ses parents.
Doit-on procéder systématiquement à l'audition, par souci d'application du droit de l'enfant ? Ou bien un débat doit-il préalablement avoir lieu devant le juge sur cette seule question ? (puisque l'audition de l'enfant précède généralement les débats sur le fond).
Se pose ensuite la question de la teneur de l'information qui doit être donnée à l'enfant capable de discernement.
Si l'on s'en tient à la lettre de l'article 388-1 du Code civil, l'information de l'enfant doit porter sur "son droit à être entendu et à être assisté par un avocat".
Or, la convention européenne du 25 janvier 1996 va plus loin, puisqu'elle reconnaît à l'enfant les droits de (art. 3) :
"a) Recevoir toute information pertinente ;"
"b) Être consulté et exprimer son opinion ;"
"c) Être informé des conséquences éventuelles de la mise en pratique de son opinion et des conséquences éventuelles de toute décision."
De toute évidence, une information aussi large et aussi technique dans certains de ses aspects, nous semble relever de la compétence de l'Avocat dont la présence aux côtés de l'enfant nous paraît être un gage de l'expression de l'opinion sincère de l'enfant, préservée de toutes les pressions conscientes et inconscientes dont la perspective de son audition par le juge est susceptible de générer…
Dans la mesure par ailleurs où la définition de l'information "pertinente" donnée par la convention s'entend d'une information qui soit compréhensible par l'enfant, on mesure les qualités particulières de connaissance de la psychologie de l'enfant, de patience et de pédagogie dont l'Avocat d'enfant doit faire preuve pour assurer la mission qui est la sienne.
Ceci explique que se multiplient, dans le cadre de la formation continue des Avocats, les interventions relatives au rôle particulier de l'Avocat d'enfant.
Á cet égard, il aurait peut-être du être envisagé par le législateur que l'effectivité du droit de l'enfant soit renforcée par un relèvement de l'indemnité servie par l'aide juridictionnelle aux Avocats d'enfants…
Le contrôle de l'effectivité de l'information donné à l'enfant doit enfin être assuré par le magistrat lui-même, à qui le dernier alinéa de l'article 388-1 du Code civil confie cette mission.
La convention européenne du 25 janvier 1996 définit plus complètement le rôle de l'autorité judiciaire (art. 6) :
"Dans les procédures intéressant un enfant, l'autorité judiciaire, avant de prendre toute décision, doit :
a) Examiner si elle dispose d'informations suffisantes afin de prendre une décision dans l'intérêt supérieur de celui-là et, le cas échéant, obtenir des informations supplémentaires, en particulier de la part des détenteurs de responsabilités parentales ;
b) Lorsque l'enfant est considéré par le droit interne comme ayant un discernement suffisant ;
- s'assurer que l'enfant a reçu toute information pertinente ;
- consulter dans les cas appropriés l'enfant personnellement, si nécessaire en privé, elle-même ou par l'intermédiaire d'autres personnes ou organes, sous une forme appropriée à son discernement, à moins que ce ne soit manifestement contraire aux intérêts supérieurs de l'enfant;
- permettre à l'enfant d'exprimer son opinion ;
c) Tenir dûment compte de l'opinion exprimée par celui-ci."
Si la convention européenne ne fait pas de l'audition de l'enfant par le juge la condition sine qua non de la mise en pratique des droits reconnus à l'enfant, elle impose en revanche une obligation particulière de tenir compte de l'opinion exprimée par celui-ci.
Cette obligation résout, selon nous, la question de savoir si l'audition du mineur doit restée confidentielle, ou si elle doit donner lieu à l'établissement d'un compte-rendu écrit soumis au débat contradictoire inhérent à toute procédure.
En effet, si le juge doit spécialement motiver sa décision en tenant compte de l'opinion exprimé par l'enfant (ce qui ne signifie bien évidemment pas qu'il doit rendre un jugement conforme à cette opinion), il paraît indispensable que les parties ait eux aussi connaissance de l'opinion exprimée par l'enfant, ce qui ne paraît possible que si un procès-verbal consignant la parole de l'enfant est établi à l'issue de l'audition.
La nécessité de consigner l'opinion exprimée par l'enfant sur un document susceptible d'être débattu contradictoirement nous paraît d'autant plus s'imposer, que l'audition de l'enfant est généralement assimilée à une mesure d'instruction.
Or, tout comme il paraîtrait inconcevable qu'un juge statue sur un rapport d'expertise qui ne serait pas communiqué aux parties, qu'une audition de témoin ne donne pas lieu à procès-verbal, que le transport d'un magistrat sur les lieux ne soit pas suivi d'un compte rendu, il nous paraît inenvisageable que le juge, dépositaire de l'opinion de l'enfant, ne la communique pas aux autres parties avant d'en tenir compte dans son jugement.
Toutefois, on ne peut ignorer que l'établissement d'un procès-verbal de l'audition de l'enfant constitue pour des juridictions déjà surchargées non seulement un surcroît de travail malvenu, mais de plus une source d'allongement de la procédure.
On assiste en effet à la mise en place d'audiences de plaidoirie à "double détente" : une audience pour l'audition des enfants, suivie d'un renvoi à une audience ultérieure pour le débat sur le fond.
Certaines juridictions semblent avoir trouvé une alternative à cette contrainte matérielle, en laissant le choix à l'enfant auditionné d'une consignation par écrit de ses propos. Ainsi, si l'enfant ne souhaite pas qu'il soit établi de procès-verbal, il est immédiatement procédé aux débats sur le fond.
Outre que cette pratique met à mal le principe du contradictoire, on en recherche vainement le fondement, l'option conféré au mineur s'accordant mal avec son statut qui n'est pas, aux termes mêmes de la loi, celui d'une partie au procès…

En conclusion

Pour souhaitable qu'elle soit, la généralisation de l'information donnée aux enfants capables de discernement, de leur droit d'être entendu par le juge, a logiquement généré un plus grand nombre de demande d'auditions que par le passé.
La matière familiale étant bien souvent le parent pauvre d'une justice assez mal dotée en termes de budget, la mise en application des principes généreux découlant de l'article 388-1 du Code civil et de la convention européenne traduit l'écart qui peut exister entre la volonté politique et les contraintes d'un contentieux de masse.
Outre qu'un certain nombre de questions encore en suspens devront être résolues par la pratique, notamment les critères du discernement de l'enfant, ou le problème de la communication de l'opinion de l'enfant aux parties, la réforme n'atteindra son objectif que tout autant qu'elle permettra une expression sincère et éclairée des sentiments de l'enfant.
Dans un domaine où l'aspect psychologique l'emporte en importance sur les critères purement juridiques, la formation des Avocats et des magistrats à cette matière particulière doit être un sujet de préoccupation du législateur et du gouvernement.
La mise en application des lois des 23 mars et 1er août 2007 ne saurait être couronnée de succès, que tout autant que les moyens nécessaires à la reconnaissance de la parole de l'enfant seront mis à disposition des juridictions et des représentants des enfants.

Par Maître David DUPETIT, Avocat.

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